Faut-il revenir aux plantes vivaces ?
Il est amusant de lire les revues d'autrefois car bien des articles nous apportent un éclairage inattendu et nous permettent d'envisager les choses sous un autre angle... En effet, alors que l'interdiction de l'usage des produits phytosanitaires, une gestion plus rigoureuse de l'eau et l'évolution climatique nous invitent, depuis quelques années, à revoir la composition de nos massifs et à insérer davantage de plantes vivaces, force est de constater qu'en 1908, et pour d'autres raisons, question était déjà posée de savoir s'il fallait revenir aux plantes vivaces ou non dans les jardins ?!
Quelle était la situation dans les jardins en 1908 ?
Deux séries de plantes bien différentes assurent la parure des Jardins : les plantes vivaces ou annuelles et les plantes de serre, mais de plein air l'été.
Tout en se gardant contre un enthousiasme sans limite et un engouement irraisonné, il faut approuver le mouvement qui se dessine depuis une dizaine d'années (donc la fin du XIXe siècle) et s'accentue sans cesse en faveur des plantes vivaces, un moment trop délaissées au profit des plantes d'hivernage telles que Bégonias, Pélargoniums, Agératums et quelques autres plantes habituelles des parterres et des corbeilles d'été, pour la décoration des Jardins.
Beaucoup de gens voudraient trouver dans le Jardin autre chose que les corbeilles de formes classiques, sans cependant en souhaiter la disparition, et tentent de réaliser des groupements d'un autre caractère. Mais cela ne date pas d'aujourd'hui. Je garde, entre autres, le souvenir des jolies bordures de plantes vivaces, bulbeuses et annuelles, en avant de bois de Pins, préludant à des scènes de plantes des Alpes, à la composition desquelles je m'attachais déjà en 1894, dans le délicieux Jardin de M. Octave Mirbeau, et dont l'échelonnement des floraisons, du premier Printemps à l'Automne, était un ravissement pour le célèbre écrivain1.
Les plantes vivaces détrônées par le Jardin paysager
Pendant longtemps, les plantes vivaces, dont on ne possédait pas encore les infinies et admirables variétés, poussaient à la diable, bordaient les allées étroites du vieux Jardin bon enfant, tracé à l'imitation de ceux de Le Nôtre. C'était ce que l'on désignait et que l'on désigne encore sous le nom de "Jardin de curé", parce que celui du Presbytère en était généralement le prototype.
Ces Jardins de nos arrières-grands-pères, avec leur cadran solaire, leur banc de pierre et l'ourlet de Buis limitant les plates-bandes de plantes vivaces rustiques, avaient un charme fruste qu'on aimerait à retrouver, mais dont le Jardin paysager et le Jardin français moderne nous ont déshabitués.
Les plantes vivaces ont alors été reléguées dans le Jardin potager, où on les retrouve aujourd'hui. C'était lors de l'engouement pour le Jardin paysager, avec ses pelouses de gazon anglais, ras et souple, un peu froides peut-être, que couronnent les corbeilles de plantes de serre transplantées, disposées d'une façon savante en tapis, en lignes, en dessins.
L'éclat particulier que l'on voulut donner ensuite aux reconstitutions de Jardins à la française ne leur fut pas davantage favorable. La taille de ces plantes est en effet rarement à l'échelle des petits parterres, et la grande variété de leur port s'harmonise peu avec l'impeccable rectitude des lignes et la grande recherche de profils des grands.
Ne substituez pas sans raison le nouvel ordre à l'ancien
À côté des corbeilles et des parterres qui parent les Jardins de juin à octobre, il y a place pour une ornementation plus discrète, dont les plantes rustiques de plein air, vivaces, bisannuelles et annuelles sont la base.
La Revue Horticole, 1901, Hortalia©
Dans ces corbeilles et ces parterres, les plantes à fleurs abritées en serre en hiver, s'associent à leurs congénères aux somptueux feuillages colorés, s'entremêlant parfois aux frondaisons d'aspect exotique d'autres espèces, et ces motifs à dessin, à qui on trouve parfois de l'affectation, sont à effets à la fois brillants et soutenus.
Il ne faut toutefois pas demander aux plantes vivaces plus qu'elles ne peuvent rendre, et surtout une continuité de floraison pendant trois à quatre mois, comme en sont capables les sortes classiques des plantes d'hivernage pour l'ornementation d'été des Jardins. On en peut, certes, attendre de forts jolis effets, par leurs floraisons échelonnées, en les associant à propos et avec goût et surtout en soignant de très près leur entretien.
Mais ces arrangements, beaucoup plus libres en raison de la nature même des plantes vivaces, ne s'accordent pas avec tous les genres de Jardins. Les formules de décorations florales ne doivent donc pas être exclusives, et il convient avant tout de les harmoniser avec le cadre. (Article d'Albert Maumené, La Vie à la campagne, 1908-10-01).
1 Octave Mirbeau va s’adonner à sa grande passion : l’horticulture. Son jardin enchante les visiteurs. Edmond de Goncourt écrivait: « Dahlias, glaïeuls, des espèces inédites d’iris crées par O. Mirbeau, des graines, croisements, hybridations. Il y avait une sorte de bassin sablé ou poussaient des iris importés directement du Japon. » Mirbeau échange graines, racines et boutures avec Monnet, qui lui fournit 3000 tuteurs. Féru d’aviculture Mirbeau élève des poules exotiques dont Alice, sa femme, vend les oeufs à un marchand de Poissy. (Source : Ville de Carrières-sous-Poissy)